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De la soumission au technofascisme religieux Les générateurs de code stupide Sur Mastodon, David Chisnall fait le point sur une année d’utilisation de GitHub Copilot pour coder. Et le résultat est clair : si, au début, il a l’impression de gagner du temps en devant moins taper sur son ordinateur, ce temps est très largement perdu par les heures voire les jours nécessaires à déboguer des bugs subtils qui ne seraient jamais arrivés s’il avait écrit le code lui-même en premier lieu ou, au pire, qu’il aurait pu détecter beaucoup plus vite. Thread Mastodon de David Chisnall Il réalise alors que la difficulté et le temps passé sur le code n’est pas d’écrire le code, c’est de savoir quoi et comment l’écrire. S’il faut relire le code généré par l’IA pour le comprendre, c’est plus compliqué pour le programmeur que de tout écrire soi-même. « Oui, mais pour générer le code pas très intelligent » Là, je rejoins David à 100% : si votre projet nécessite d’écrire du code bête qui a déjà été écrit mille fois ailleurs, c’est que vous avez un problème. Et le résoudre en le faisant écrire par une IA est à peu près la pire des choses à faire. Comme je le dis en conférence : ChatGPT apparait utile pour ceux qui ne savent pas taper sur un clavier. Vous voulez être productif ? Apprenez la dactylographie ! Comprendre les bulles (conférence à Rennes Breizhcamp 2024) Là où ChatGPT est très fort, par contre, c’est de faire semblant d’écrire du code. En proposant des tableaux d’avancement de son travail, en prétendant que tout est bientôt prêt et sera sur WeTransfer. C’est évidemment bidon : ChatGPT a appris à arnaquer ! Julien Paster raconte sur X comment son kiné s’est fait arnaqué par ChatGPT (xcancel.com) Bref, ChatGPT est devenu le parfait Julius. Mon collègue Julius (ploum.net) Ed Zitron enfonce encore plus le clou à ce sujet : les ChatGPTs et consorts sont des « succès » parce que toute la presse ne fait qu’en parler en termes élogieux, que ce soit par bêtise ou par corruption. Mais, en réalité, le nombre d’utilisateurs payants est incroyablement faible et, comme Trump, Sam Altman s’adresse à nous en considérant que nous sommes des débiles qui avalons les plus gros mensonges sans broncher. Et les médias et les CEOs applaudissent… The Generative AI Con (www.wheresyoured.at) Débiles, nous le sommes peut-être complètement. Plusieurs dizaines d’articles scientifiques mentionnent désormais la « miscroscopie électronique végétative ». Ce terme ne veut rien dire. Quelle est son origine ? Il vient tout simplement d’un article de 1959 publié sur deux colonnes, mais qui est entré dans le corpus comme une seule colonne ! As a nonsense phrase of shady provenance makes the rounds, Elsevier defends its use (retractionwatch.com) Ce que cette anecdote nous apprend c’est que, premièrement, les générateurs de conneries sont encore plus mauvais qu’on ne l’imagine, mais, surtout, que notre monde est déjà rempli de cette merde ! Les LLMs ne font qu’appliquer au contenu en ligne ce que l’industrie a fait pour le reste : les outils, les vêtements, la bouffe. Produire le plus possible en baissant la qualité autant que possible. Puis en l’abaissant encore plus. Condorcet, les réseaux sociaux et les producteurs de merde (ploum.net) La suppression des filtres L’imprimerie fait passer la communication de "One to one" à "One to many", ce qui rend obsolète l’Église catholique, l’outil utilisé en occident pour que les puissants imposent leur discours à la population. La première conséquence de l’imprimerie sera d’ailleurs le protestantisme qui revendique explicitement la capacité pour chacun d’interpréter la parole de Dieu et donc de créer son propre discours à diffuser, le "One to many". Comme le souligne Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris, « la presse tuera l’église ». Lectures 4 : un tournant civilisationnel (voir la section "L’imprimerie") Conséquences directes de l’imprimerie : la Renaissance puis les Lumières. Toute personne qui réfléchit peut diffuser ses idées et s’inspirer de celles qui sont diffusées. Chaque humain ne doit plus réinventer la roue, il peut se baser sur l’existant. L’éducation prend le pas sur l’obéissance. Après quelques siècles de « One to many » apparait l’étape suivante : Internet. Du « One to many » on passe au « Many to many ». Il n’y a plus aucune limite pour diffuser ses idées : tout le monde peut le faire envers tout le monde. Il faudra la construire sans eux… (ploum.net) Une conséquence logique qui m’avait échappé à l’époque du billet précédent, c’est que si tout le monde veut parler, plus personne n’écoute. Comme beaucoup, j’ai cru que le « many to many » serait incroyablement positif. La triste réalité est que l’immense majorité d’entre nous n’avons pas grand-chose à dire, mais que nous voulons quand même nous faire entendre. Alors nous crions. Nous générons du bruit. Nous étouffons ce qui est malgré tout intéressant. L’investissement nécessaire pour imprimer un livre ainsi que le faible retour direct constitue un filtre. Ne vont publier un livre que ceux qui veulent vraiment le faire. La pérennité de l’objet livre et la relative lenteur de sa transmission implique également un second filtre : les livres les moins intéressants seront vite oubliés. C’est d’ailleurs pourquoi nous idéalisons parfois le passé, tant en termes de littérature que de cinématographie ou de musique : parce que ne nous sont parvenus que les meilleurs, parce que nous avons oublié les sombres merdes qui firent un flop ou eurent un succès éphémère. Bien que très imparfait et filtrant probablement de très bonnes choses que nous avons malheureusement perdues, la barrière à l’entrée et la dilution temporelle nous permettaient de ne pas sombrer dans la cacophonie. L’échec de la démocratisation de la parole Internet, en permettant le « many to many » sans aucune limite a rendu ces deux filtres inopérants. Tout le monde peut poster pour un coût nul. Pire : les mécanismes d’addiction des plateformes ont rendu plus facile de poster que de ne pas poster. Le support numérique rend également floue la frontière temporelle : un contenu est soit parfaitement conservé, soit disparait totalement. Cela entraine que de vieux contenus réapparaissent comme s’ils étaient neufs et personne ne s’en rend compte. Le filtre temporel a totalement disparu. De possible, le « many to many » s’est transformé en obligation. Pour exister, nous devons être vus, entendus. Nous devons avoir une audience. Prendre des selfies et les partager. Recevoir des likes qui nous sont vendus bien cher. Le « many to many » s’est donc révélé une catastrophe, peut-être pas dans son principe, mais dans sa mise en œuvre. Au lieu d’une seconde renaissance, nous entrons en décadence, dans un second moyen-âge. La frustration de pouvoir s’exprimer, mais de ne pas être entendu est grande. Olivier Ertzscheid va même plus loin : pour lui, ChatGPT permet justement d’avoir l’impression d’être écouté alors que personne ne nous écoute plus. Du « many to many », nous sommes passés au « many to nobody ». Google, Wikipédia et ChatGPT. Les trois cavaliers de l’apocalypse (qui ne vient pas). (affordance.framasoft.org) Utiliser ChatGPT pour obtenir des infos se transforme en utiliser ChatGPT pour obtenir confirmation à ses propres croyances, comme le relève le journaliste politique Nils Wilcke. Pouet de Nils Wilcke sur Mastodon J’en ai marre de le répéter, mais ChatGPT et consorts sont des générateurs de conneries explicitement conçus pour vous dire ce que vous avez envie d’entendre. Que « ChatGPT a dit que » puisse être un argument politique sur un plateau télévisé sans que personne ne bronche est l’illustration d’un crétinisme total généralisé. Le Techno-Fascisme religieux La « Many to nobody » est en soi un retour à l’ordre ancien. Plus personne n’écoute la populace. Seuls les grands seigneurs disposent de l’outil pour imposer leur vue. L’Église catholique a été remplacée par la presse et les médias, eux-mêmes remplacés par les réseaux sociaux et ChatGPT. ChatGPT qui n’est finalement qu’une instance automatisée d’un prêtre qui vous écoute en confession avant de vous dire ce qui est bien et ce qui est mal, basé sur les ordres qu’il reçoit d’en haut. Dans un très bon billet sur le réseau Gemini, small patata réalise que l’incohérence du fascisme n’est pas un bug, c’est son mode de fonctionnement, son essence. Une incohérence aléatoire et permanente qui permet aux esprits faibles de voir ce qu’ils ont envie de voir par paréidolie et qui brise les esprits les plus forts. En brisant toute logique et cohérence, le fascisme permet aux abrutis de s’affranchir de l’intelligence et de prendre le contrôle sur les esprits rationnels. Le légendaire pigeon qui chie sur l’échiquier et renverse les pièces avant de déclarer victoire. Poison as Praxis (gemini.patatas.ca) L’incohérence de ChatGPT n’est pas un bug qui sera résolu ! C’est au contraire ce qui lui permet d’avoir du succès avec les esprits faibles qui, en suivant des formations de « prompt engineering », ont l’impression de reprendre un peu de contrôle sur leur vie et d’acquérir un peu de pouvoir sur la réalité. C’est l’essence de toutes les arnaques : prétendre aux personnes en situation de faiblesse intellectuelle qu’ils vont miraculeusement retrouver du pouvoir. Small patata fait le lien avec les surréalistes qui tentèrent de lutter artistiquement contre le fascisme et voit dans le surréalisme une manière beaucoup plus efficace de lutter contre les générateurs de conneries. Il faut dire que face à un générateur mondial de conneries, fasciste, centralisé, ultra capitaliste et bénéficiant d’une adulation religieuse, je ne vois pas d’autre échappatoire que le surréalisme. Brandissons ce qui nous reste d’humanité ! Aux âmes citoyens ! Image reprise du gemlog de small patatas: Le triomphe du surréalisme, Max Ernst (1937) Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.
À la recherche de la déconnexion parfaite Une rétrospective de ma quête de concentration Une première déconnexion À la fin de l’année 2018, épuisé par la promotion de la compagne Ulule de mon livre « Les aventures d’Aristide, le lapin cosmonaute » et prenant conscience de mon addiction aux réseaux sociaux, je décide de me « déconnecter ». Un bien grand mot pour m’interdire pendant 3 mois l’utilisation des réseaux sociaux et des sites d’actualité. En partance pour ma déconnexion… (ploum.net) Je suis déconnecté ! (ploum.net) Le premier effet va se faire sentir très vite avec la désinstallation de l’app que j’utilise le plus à l’époque : Pocket. Le jour où j’ai désinstallé mon app préférée ! (ploum.net) L’expérience est avant tout une prise de conscience. Je découvre que, dès que je m’ennuie, j’ouvre machinalement un navigateur web sans même y réfléchir. C’est littéralement un réflexe. 1 mois de déconnexion, premier bilan (ploum.net) Je commence à percevoir la différence entre l’information et le « bruit ». L’hyperconnexion est, comme le tabac, une assuétude et une pollution. Une notion qui deviendra essentielle dans ma réflexion. Le silence au milieu du bruit (ploum.net) L’humeur d’un déconnecté (ploum.net) Si je tente de subir moins de bruit, mon épouse me fait remarquer que je tente toujours d’en générer en postant sur des réseaux que je ne lis plus. Je suis incohérent. De la pollution mentale et de la quête d’égo (ploum.net) Comme souvent dans ce genre d’expérience, on en sort sans aucune envie de se « reconnecter ». Mais je vais, bien entendu, très vite reprendre mes anciennes habitudes. 3 mois de déconnexion : bilan final (ploum.net) Le problème de l’hyperconnexion est désormais clair dans ma tête. Je suis addict et cette addiction m’est néfaste à tous les points de vue. Sous les réseaux sociaux, un monde post-déconnexion (ploum.net) La période technosolutionniste Face à la réalisation de l’ampleur du problème, mon premier réflexe est de trouver une solution technique, technologique. Beaucoup de personnes sont dans le même cas et, si cette étape est loin de suffire, elle est indispensable : faire du tri dans les outils numériques que nous utilisons. Je me rends compte que l’univers Apple, que je fréquente à l’époque, ayant reçu un MacBook de mon employeur, est à la fois contraire à mes valeurs et complètement incompatible avec une forme de sobriété numérique, car poussant à la consommation. Cette dichotomie entre ma philosophie et mon vécu entraine une tension que je tente d’évacuer par la surconnexion. Il est temps pour moi de revenir entièrement sous Linux. À la poursuite du minimalisme numérique (ploum.net) Linux et minimalisme numérique (ploum.net) J’achète également un téléphone qui est tellement merdique et bugué que je n’ai jamais envie de l’utiliser (non, ne l’achetez pas). Se passer d’écran avec un téléphone e-ink (ploum.net) Concrètement, cette première déconnexion a également été l’opportunité de terminer mon feuilleton « Printeurs » ainsi que d’écrire quelques nouvelles. Celui-ci intéresse un éditeur et je publie mon premier roman en 2020. Printeurs, le premier roman imprimé en 3D (ploum.net) Une autre action concrète que j’entreprends est de supprimer au maximum de comptes en ligne. Je ne le sais pas encore, mais je vais en découvrir et en supprimer près de 500 et cela va me prendre près de trois ans. Pour la plupart, j’ai oublié qu’ils existent, mais pour certains, l’étape est significative. Je ne suis plus à vendre sur Linkedin (ploum.net) En parallèle, je découvre le protocole minimaliste Gemini. Suite à l’utilisation de ce protocole, une idée commence à me trotter dans la tête : travailler complètement déconnecté. J’ai en effet découvert que bloquer certains sites n’est pas suffisant : je trouve automatiquement des alternatives sur lesquelles procrastiner, alternatives qui sont même parfois moins intéressantes. J’ai donc envie d’explorer une déconnexion totale. Je commence à rédiger mon journal personnel à la machine à écrire. Gemini, le protocole du slow web (ploum.net) The Offline-First Quest (ploum.net) Offline-First, Typewriters, Emails and Gemini (ploum.net) Looking for offline-first tools (ploum.net) Seconde déconnexion : une tentative d’année déconnectée Le 1er janvier 2022, trois ans après la fin de ma première déconnexion, je me lance dans une tentative d’année complètement déconnectée. L’idée est de n’utiliser mon ordinateur que déconnecté dans mon bureau, de le synchroniser une fois par jour. Le tout est rendu possible par un logiciel que j’ai développé dans les derniers mois de 2021 : Offpunk. Offpunk, an offline-first browser Évidemment, la connexion est nécessaire pour certaines actions que je me propose de chronométrer et d’enregistrer. J’écris, en direct, le compte-rendu de cette déconnexion et, contre toute attente, ces écrits semblent passionner les lecteurs. 1er janvier 2022, quelques minutes après minuit (ploum.net) 3 janvier 2022, qu’est-ce qu’une déconnexion ? (ploum.net) Chapitre 3 : Le manque (ploum.net) Chapitre 4 : les messageries instantanées (ploum.net) Chapitre 5 : le plaisir coupable de l’exploration (ploum.net) Chapitre 6 : la machine à cliquer se rebelle contre le superorganisme (ploum.net) Chapitre 7 : l’hystérie médiatique (ploum.net) Chapitre 8 : l’artiste déconnecté (ploum.net) Mieux préparée et beaucoup plus ambitieuse (trop ?), cette déconnexion est finalement un échec après moins de 6 mois. Chapitre 9 : l’échec (ploum.net) La leçon est dure : il n’est quasiment pas possible de se déconnecter de manière structurelle dans la société actuelle. Nous sommes tout le temps sollicités pour accomplir des actions en ligne, actions qui nécessitent du temps, mais pas toujours de la concentration. Tout est désormais optimisé pour que nous soyons en ligne. Ma déconnexion est un échec. Le livre de cette déconnexion est inachevé. Un autre manuscrit sur lequel je travaille durant cette déconnexion est dans un état inutilisable. Cependant, j’ai profité de ce temps pour écrire quelques nouvelles et finaliser mon recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur ». …et autres joyeusetés que nous réserve le futur (ploum.net) Conséquence directe de cette déconnexion, mon compte Whatsapp disparait. Mon compte Twitter suit bientôt également. Le suicide de mon compte WhatsApp (ploum.net) Chapitre 10 : la suppression des comptes en ligne (ploum.net) Pourquoi j’ai supprimé mon compte Twitter (et pourquoi vous pouvez probablement en faire autant sans hésiter) (ploum.net) J’ai également pris conscience que mon blog Wordpress n’est plus du tout en phase avec ma philosophie. En parallèle de mon travail sur Offpunk, je réécris complètement mon blog pour en faire un outil « offline ». La fin d’un blog et la dernière version de ploum.net (ploum.net) Le second retour à la normalité Début 2023, je m’isole pour commencer l’écriture de Bikepunk qui paraitra en 2024. J’alterne entre les périodes de déconnexion totale et des périodes d’hyperconnexion. Bikepunk, les chroniques du flash Le seul réseau social où j’ai gardé un compte, Mastodon, commence à attirer l’attention. J’y suis très présent et, philosophiquement, je ne peux que soutenir et encourager toutes les personnes cherchant à quitter X et Meta. Je retombe dans l’hyperconnexion. Une hyperconnexion éthique, mais une hyperconnexion tout de même. Pendant deux ans, j’utilise l’extension Firefox LeechBlock qui permet de n’autoriser qu’un temps limité par jour sur certains sites web. Cela fonctionne pas trop mal pendant un temps jusqu’au moment où j’acquiers le réflexe de désactiver le plugin sans même y penser. Comme tous les trois ans, il est temps pour moi de lancer un nouveau cycle et de m’interroger sur mes usages. Un de mes apprentissages principaux est que toute modification de mon comportement mental doit s’accompagner chez moi par une modification physique. Mon esprit suit les réflexes de mon corps. Je tape encore parfois machinalement dans la barre d’adresse Firefox les premières lettres de sites procrastinatoires sur lesquels je n’ai plus été depuis dix ans ! Le second apprentissage est que la radicalité implique une rechute plus forte. La connexion est nécessaire tous les jours, de manière imprévisible. Je ne souhaite pas m’isoler, mais concevoir une manière de fonctionner durable. Créer de nouveaux réflexes. Une troisième déconnexion Pour ma « déconnexion 2025 », j’ai donc pris une grande décision : j’ai acheté un fauteuil pour remplacer ma chaise de bureau. Pendant toutes mes études et mes premières années professionnelles, je n’avais que des chaises de récupération. Au printemps 2008, disposant d’un salaire stable et d’un appartement, j’achète une chaise de bureau neuve : le premier prix de chez Ikea. Cette chaise, rafistolée avec des coussins défoncés dont mes beaux-parents ne voulaient plus, était encore celle que j’utilisais jusqu’il y a quelques jours. Ce nouveau fauteuil est donc un très grand changement pour moi. Et je me suis promis de ne l’utiliser qu’en étant déconnecté. Pour ce faire, je désactive le wifi dans le Bios de mon ordinateur. J’ai également organisé un « bureau debout » dans un coin de la pièce, bureau debout où arrive un câble RJ-45. Si je veux me connecter, je dois donc physiquement me lever et brancher un câble. Tout ce que je dois faire en ligne s’effectue désormais en étant debout. Lorsque je suis assis (ou vautré, pour être plus exact), je suis déconnecté. J’ai également pris d’autres petites mesures. En premier lieu, mes todos ne sont plus stockés sur mon ordinateur, mais sur des fiches sur un tableau de liège. Un comble pour qui se rappelle que j’ai passé plusieurs années à développer le logiciel « Getting Things GNOME ». Je revois aussi la gestion de mon email. J’adore recevoir des emails et de mes lecteurs et j’ai beaucoup de mal à ne pas y répondre. Puis à répondre à la réponse de ma réponse. Avec le succès de Bikepunk, mon courrier s’est étoffé et je me retrouve parfois à la fin de la journée en réalisant que j’ai… « répondu à mes emails ». Des discussions certes enrichissantes, mais chronophages. Dans bien des cas, je répète dans plusieurs mails ce qui pourrait être un billet de blog. Considérez que j’ai lu votre mail, mais que ma réponse alimentera mes prochains billets de blogs. Certains billets futurs traiteront de thèmes que je n’aborde pas d’habitude, mais pour lesquels je reçois énormément de questions. Sur Mastodon, que je ne consulte plus que debout, j’ai pris la décision de mettre tous les comptes que je suis dans une liste, liste que j’ai configurée pour qu’elle ne s’affiche pas dans ma timeline. Quand je consulte Mastodon, je ne vois donc que mes posts à moi et je dois accomplir une action en plus si je veux voir ce qui se dit (ce que je ne fais plus tous les jours). Comme avant, les notifications sont régulièrement « vidées ». Si vous voulez suivre ce blog, privilégiez le flux RSS ou bien mes deux newsletters: Newsletter avec mes billets francophones Newsletter avec mes billets en anglais À la recherche de l’ennui. Déconnexion est un bien grand mot pour simplement dire que je ne serai plus connecté 100% du temps. Mais telle est l’époque où nous vivons. Cal Newport parle de l’incroyable productivité de l’écrivain Brandon Sanderson qui a créé une entreprise de 70 personnes uniquement dédiée à une seule activité : le laisser écrire le plus possible ! Let Brandon Cook (calnewport.com) Si l’exemple est extrême, Cal s’étonne de ce qu’on ne voit pas plus de structures qui cherchent à favoriser la concentration et la créativité. Dans un âge où l’hyperdistraction permanente est la norme, il est nécessaire de se battre et de développer les outils pour se concentrer. Et s’ennuyer. Surtout s’ennuyer. Car pour réfléchir et créer, l’ennui est primordial. D’ailleurs, si je ne m’étais pas ennuyé, je n’aurais jamais écrit ce billet ! Nous dresserons le bilan dans 3 ans pour ma quatrième déconnexion… Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! 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De la décadence technologique et des luddites technophiles La valeur de texte brut Thierry s’essaie à publier son blog sur le réseau Gemini, mais a du mal avec le format minimaliste. Qui est justement pour moi la meilleure partie du protocole Gemini. La low-tech peut-elle coexister avec la high-tech ? (tcrouzet.com) Le format Gemini impose, comme dans un livre, du texte pur. Il est possible d’ajouter un titre, des sous-titres, des liens, des citations, mais avec une particularité importante : cela doit concerner toute la ligne, pas une simple partie de texte. Les liens doivent donc être sur leur propre ligne plutôt que de se perdre et foisonner dans le texte. Comme ils interrompent la lecture entre deux paragraphes, ils doivent être explicités et justifiés plutôt que d’être cachés au petit bonheur du clic. Il est également impossible de mettre de l’italique ou du gras dans son texte. Ce qui est une excellente chose. Comme le rappelle Neal Stephenson dans son « In the beginning was the command line », les mélanges gras/italiques aléatoires n’ont rien à faire dans un texte. Prenez un livre et tentez de trouver du texte en gras dans le corps du texte. Il n’y en a pas et pour une bonne raison : cela ne veut rien dire, cela perturbe la lecture. Mais lorsque Microsoft Word est apparu, il a rendu plus facile de mettre en gras que de faire des titres corrects. Tout comme le clavier azerty a soudainement fait croire qu’il ne fallait pas mettre d’accent sur les majuscules, l’outil technologique a appauvri notre rapport au texte. Car le besoin d’attirer l’attention au milieu d’un texte est un aveu d’insécurité de l’auteur. Le texte doit exister par lui-même. C’est au lecteur de choisir ce qu’il veut mettre en avant en surlignant, pas à l’auteur. Orner un texte d’artifices inutiles pour tenter de combler les vides porte un nom : la décadence. Le gras, le word art, le Comic San MS, les powerpoints envoyés par mail, tous sont des textes décadents qui tentent de camoufler la vacuité ou l’inanité du contenu. La décadence inexorable de la tech Le texte n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Thierry se pose également beaucoup de questions sur les notions low-tech et high-tech, notamment dans le médical. Mais le terme « low-tech » est selon moi trompeur. Je suis un luddite technophile. Contrairement à ce que la légende prétend, les luddites n’étaient pas du tout opposés à la technologie. Ils étaient opposés à la propriété technologique par la classe bourgeoise, ce qui transformait les artisans spécialisés en interchangeables esclaves des machines. Les luddites n’ont pas tenté de détruire des métiers à tisser technologiques, mais des machines que leurs patrons utilisaient pour les exploiter. Le retour de la vengeance des luddites technophiles (ploum.net) De la même manière, je ne suis pas opposé aux réseaux sociaux centralisés ni aux chatbots parce que c’est « high tech », mais parce que ce sont des technologies qui sont activement utilisées pour nous appauvrir, tant intellectuellement que financièrement. C’est même leur seul objectif avoué. Que l’IA soit utilisée pour détecter plus précocement des cancers, je trouve l’idée formidable. Mais je sais également qu’elle est impossible dans le contexte actuel. Pas d’un point de vue technique. Mais parce que, bien utilisée, elle coûtera plus cher que pas d’IA du tout. En effet, l’IA peut aider en détectant des cancers que le médecin a ratés. Il faut donc un double diagnostic, tant du médecin que de l’IA et se poser des questions lorsque les deux sont en désaccord. Il faut payer le coût de l’IA en plus du surplus du travail du médecin, car il devra faire plus d’heures vu qu’il devra revoir les diagnostics « divergents » pour trouver son erreur ou celle de l’IA. L’IA est un outil qui peut être utile si on accepte qu’il coûte beaucoup plus cher. Ça, c’est la théorie. En pratique, une telle technologie est vendue sous prétexte de « faire des économies ». Elle va forcément induire un relâchement attentionnel des médecins et, pour justifier les coûts, une diminution du temps consacré à chaque diagnostic humain. Perdant de l’expérience et de l’habitude, le diagnostic des médecins va devenir de moins en moins sûr et, par effet ricochet, les nouveaux médecins vont être de moins en moins bien formés. Les cancers indétectés par l’IA ne le seront plus par les humains. L’IA étant entrainée sur les diagnostics réalisés par des humains, elle va également devenir de moins en moins compétente et s’autovalider. Au final, nul besoin d’être grand clerc pour voir que si la technologie est intéressante, son utilisation dans notre contexte socio-économique ne peut que se révéler catastrophique et n’est intéressante que pour les vendeurs d’IA. Le mensonge high tech Les partisans du « low tech » ont l’intuition que la « high tech » cherche à les exploiter. Ils ont raison sur le fond, pas sur la cause. Ce n’est pas la technologie le nœud du problème, mais sa décadence. La course à la technologie est une bulle bâtie sur un mensonge. L’idée n’est pas de construire quelque chose de durable, mais de faire croire qu’on va le construire pour attirer des investisseurs. Les entreprises du NASDAQ sont devenues une énorme pyramide de Ponzi. Elles tentent de se soutenir l’une l’autre à coup de millions, mais perdent toutes énormément d’argent, ce qu’elles arrivent à cacher grâce au cours de la bourse. Godot Isn't Making it (www.wheresyoured.at) D’ailleurs, des recherches sérieuses confirment mon intuition : au plus on comprend ce qu’il y a derrière « l’intelligence artificielle », au moins on en veut. L’IA est littéralement un piège à ignorants. Et les producteurs l’ont très bien compris : ils ne veulent pas que l’on comprenne ce qu’ils font. Knowing less about AI makes people more open to having it in their lives - new research (theconversation.com) Ed Zitron continue sur sa lancée avec l’inattendue arrivée de DeepSeek, le ChatGPT chinois qui est simplement 30 fois moins cher. À la question « Pourquoi OpenAI et les autres n’ont pas réussi à faire moins cher », il propose la réponse rétrospectivement évidente : « Parce que ces entreprises n’avaient aucun intérêt à faire moins cher. Au plus elles perdent de l’argent, au plus elles justifient que ce qu’elles font est cher, au plus elles attirent les investisseurs et effraient de potentiels compétiteurs ». En bref : parce qu’elles sont complètement décadentes ! Deep Impact (www.wheresyoured.at) Cory Doctorow parle souvent de merdification, je propose plutôt de parler de « décadence technologique ». Nous produisons la technologie la plus chère, la plus complexe et la moins écologique possible par simple réflexe. Comme pour les orgies romaines, la complexité et le coût ne sont plus des obstacles, mais les objectifs premiers que nous cherchons à atteindre. Ceci explique aussi pourquoi la technologie se retourne complètement contre ses utilisateurs. Dernièrement, une dame d’un certain âge voulait me montrer sur son téléphone un post vu sur son compte Facebook. La moitié de son gigantesque écran de téléphone était littéralement une publicité fixe pour une voiture. Dans la seconde moitié de l’écran, la dame scrollait et alternait entre d’autres pubs pour des voitures et ce qui était probablement du contenu. Son téléphone était doté d’un écran gigantesque, mais seule une fraction de celui-ci était au service de l’utilisateur. Et encore, pas complètement. La bagnole est en soi le parfait exemple de décadence : d’outil, elle est devenue un symbole qui doit être le plus gros, le plus lourd, le plus voyant possible. Ce qui entraine une complexité infernale tant en termes d’espace public que d’espace privé. Les maisons des dernières décennies sont, pour la plupart, bâties comme des pièces autour d’un garage. Les villes comme des bâtiments autour de nœuds routiers. La voiture est devenue le véritable citoyen des villes, les humains n’en sont que les servants. Le Web suit la même trajectoire avec les robots remplaçant les voitures. La frénésie envers l’intelligence artificielle est l’archétype de cette décadence. Car si les nouveaux outils ont clairement une utilité et peuvent clairement aider dans certains contextes, nous sommes dans une situation inverse : trouver un problème auquel appliquer l’outil . Retour au concept d’utilité C’est également la raison pour laquelle Gemini me passionne tellement. C’est l’outil le plus direct pour transmettre le texte de mon cerveau à celui d’un lecteur. En ouvrant la porte au gras, à l’italique puis aux images et au JavaScript, le Web est devenu une jungle décadente. Les auteurs y publient puis, sans se soucier d’être lus, consultent avidement les statistiques de clics et de likes. Le texte est de plus en plus optimisé pour ces statistiques. Avant d’être automatisés par des robots, robots qui pour s’entrainer vont consulter les textes en ligne et générer automatiquement des clics. La boucle de la décadence technologique est bouclée : les contenus sont lus et générés par les mêmes machines. Les bourgeois capitalistes propriétaires ont réussi à automatiser totalement tant leurs ouvriers (les créateurs de contenus) que leurs clients (ceux qui font du clic). Je ne veux pas servir les propriétaires de plateforme. Je ne veux pas consommer ce fade et inhumain contenu automatisé. Je tente de comprendre les conséquences de mes usages technologiques pour en tirer le maximum d’utilité avec le moins de conséquences négatives possible. Face à la décadence technologique, je suis devenu un luddite technophile. Photo by Anne Fehres and Luke Conroy & AI4Media CC-BY 4.0 Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.
Et si on arrêtait d’être de bons petits consultants obéissants ? Le cauchemar des examens Régulièrement, je me réveille la nuit avec une boule dans le ventre et une bouffée de panique à l’idée que je n’ai pas étudié mon examen à l’université. Cela fait 20 ans que je n’ai plus passé d’examen et pourtant j’en suis encore traumatisé. Du coup, j’essaye de proposer à mes étudiants un examen le moins stressant possible. Si un étudiant n’est vraiment nulle part, je profite de l’adrénaline inhérente à un examen pour tenter de lui inculquer les concepts. Parfois, je demande à un étudiant d’enseigner la matière à l’autre. J’impose toute de même certaines règles vestimentaires : la cravate est interdite, mais tout le reste est encouragé. J’ai déjà eu des étudiants en peignoir, un étudiant en costume traditionnel de son pays, et toujours insurpassé, une étudiante en costume complet de Minnie (avec les oreilles, le maquillage, les chaussures, la totale !). Cette année j’ai eu droit… à une banane ! Un étudiant passe son examen déguisé en banane. Le monopole de l’East India Company J’encourage également les étudiants à venir avec leur propre sujet d’examen. Google Is Now the East India Company of the Internet (substack.com) Bon, l’article est fort naïf sur certains aspects. Il dit par exemple qu’AT&T n’a pas exploité sa position dominante parce qu’il suivait une certaine éthique. C’est faux. AT&T n’a pas exploité sa position dominante tout simplement parce que l’entreprise était sous la menace d’un procès pour abus de position dominante. La crainte du procès est ce qui a permis le succès d’UNIX (développé par AT&T) et d’Internet. Lorsque IBM a commencé à avoir une position dominante dans le marché informatique naissant, la crainte d’un procès est ce qui a permis la standardisation du PC que l’on connait aujourd’hui et ce qui a permis l’apparition de l’industrie logicielle où s’est engouffrée Microsoft. Mais je vous ai déjà raconté cette histoire : L’histoire du logiciel : entre collaboration et confiscation des libertés (ploum.net) Malheureusement, tout change dans les années 1980 avec la présidence de Reagan (le Trump de l’époque). Ses conseillers instaurent l’idée que les monopoles ne sont finalement pas si nocifs, ils sont même plutôt bons pour l’économie (surtout les économies des politiciens qui ont des actions dans ces monopoles). Du coup, on va beaucoup moins les poursuivre, voire les encourager. De là les succès de Microsoft, Google et Facebook qui, malgré les procès, n’ont pas été scindés ni n’ont jamais dû adapter leurs pratiques. La terrifiante hégémonie des monopoles (ploum.net) Si vous lisez ceci, ça vous parait sans doute absurde : comment peut-on justifier que les monopoles ne sont pas nocifs juste pour enrichir les politiciens ? Quelle astuce utiliser ? Le secret ? Il n’y a pas d’astuce. Pas besoin de se justifier. Il suffit de le faire. Et pour tous les aspects pratiques de n’importe quelle loi, aussi absurde et injuste soit-elle, il suffit de se passer des fonctionnaires scrupuleux et de tout faire faire par des cabinets de consultance. Enfin, surtout un : McKinsey. McKinsey et la naïveté de la bonté Étudiant, j’ai participé à une soirée d’embauche de McKinsey. Bon, je n’avais pas trop d’espoir, car ils annonçaient ne prendre que celleux avec les meilleurs points (ce dont j’étais loin), mais je me suis dit qu’on ne savait jamais. Je n’avais aucune idée de ce qu’était McKinsey ni de ce qu’ils faisaient, je savais juste que c’était une sorte de Graal vu qu’ils ne prenaient que les meilleurs. Assis dans un auditoire, j’ai assisté à la présentation de « cas » réels. Une employée de McKinsey, qui a annoncé avoir fait les mêmes études que moi quelques années auparavant (mais avec de bien meilleurs résultats), a présenté son travail. Il s’agissait de réaliser la fusion de deux entités dont les noms avaient été cachés. Sur l’écran s’affichait des colonnes de « ressources » pour chaque entité puis comment la fusion permettait d’économiser les ressources. J’étais d’abord un peu perdu dans le jargon. J’ai posé quelques questions et finis par comprendre que les « ressources » étaient des employé·e·s. Que ce que je voyais était avant tout un plan de licenciement brutal. J’ai interrompu la présentation pour demander comment étaient pris en compte les aspects éthiques. J’ai eu droit à une réponse standard comme quoi « l’éthique était primordiale chez McKinsey, qu’ils suivaient des règles strictes ». J’ai insisté, j’ai creusé. Parmi la cinquantaine d’étudiants participants, j’étais le seul à prendre la parole, j’étais le seul à m’étonner (j’en ai discuté après avec d’autres, personne ne semblait avoir vu le problème). J’ai demandé à la présentatrice de me donner un exemple d’une des fameuses règles de l’éthique McKinsey. Et j’ai obtenu cette réponse qui est restée gravée dans ma mémoire : « Un consultant McKinsey doit toujours favoriser l’intérêt de son client, quoi qu’il arrive ». Après la présentation, je suis allé trouver la consultante en question. Autour d’un petit four, j’ai insisté une fois de plus sur l’éthique. Elle m’a ressorti le même blabla. Je lui ai alors dit que je ne parlais pas de ça. Que toutes ses colonnes de chiffres étaient des personnes qui allaient perdre leur emploi, que la fusion allait avoir un impact économique important sur des milliers de familles et que je me demandais comment cet aspect était envisagé. Elle a ouvert la bouche. Son visage s’est décomposé. Et la brillante ingénieure qui avait réussi les études les plus difficiles avec les meilleurs points m’a répondu : « Je n’avais jamais pensé à ça… » Même les personnes soi-disant les plus intelligentes ne pensent pas. Elles obéissent. « Ne recruter que les meilleurs » n’était pas une technique de recrutement, mais bien une manière de créer un élitisme de façade qui empêchait les heureux élus de se poser des questions. « Je n’avais jamais pensé à ça… » À mon examen, j’ai eu une étudiante particulièrement brillante. Je lui ai dit que, vu sa compréhension hyper fine, j’attendais d’elle qu’elle questionne plus les choses, qu’elle réagisse surtout face à d’autres, moins brillants, mais plus sûrs d’eux. Elle est clairement plus intelligente que moi alors pourquoi n’intervient-elle pas pour me signaler lorsque je suis incohérent ? Le monde a besoin de gens intelligents qui posent des questions. Elle s’est défendue : « Mais on m’a toujours appris à faire le contraire ! ». Dans un très bon article, Garrison Lovely revient sur la stratégie de McKinsey. Le fait que les personnes qui avaient participé à une manifestation contre Trump soient ensuite des pièces centrales [en temps que consultants McKinsey] de sa politique de déportation est, en un sens, tout ce qu’il faut savoir. McKinsey exécute, ne fait pas de politique L’auteur interroge sur ce qui aurait empêché McKinsey d’optimiser la fourniture de fils barbelés des camps de concentration. La réponse tombe : "McKinsey a des valeurs". Des valeurs qui sont enseignées et répétées lors des "Values Days". 20 ans après ma propre expérience d’une soirée McKinsey, rien n’a changé. Confessions of a McKinsey Whistleblower (www.thenation.com) La naïveté du bien Le problème des gens bons et subtils, c’est qu’ils n’arrivent pas à imaginer que l’arnaque est fondamentalement malhonnête et pas subtile. Ils cherchent à comprendre, à expliquer, à justifier. Il n’y a rien à comprendre : le malhonnête cherche son profit de manière directe et non subtile. C’est tellement évident que même les plus subtils laissent passer en se disant que ça cache « autre chose ». Je vois passer des messages qui disent que Trump ou Musk font des choses illégales. Qu’ils ne respectent pas les règles. Ben justement. C’est le principe. Que Trump ne peut décemment pas avoir triché aux élections parce que « quelqu’un » se serait opposé. Quelqu’un ? Mais qui ? Ceux qui obéissent à leurs chefs sans poser de questions parce que c’est leur boulot ? Ceux qui ont peur de perdre leur place et qui préfèrent ménager celui qui a gagné les élections ? Ceux qui, au contraire, se disent qu’ils peuvent faire une bonne affaire en brossant le vainqueur dans le sens du poil ? Si Trump avait été condamné pour son implication dans l’insurrection du 6 janvier, tout le monde lui serait tombé dessus et se serait disputé sa dépouille. Mais même les juges impliqués savaient qu’il pouvait redevenir président. Qu’il utiliserait son pouvoir pour punir toute personne impliquée dans sa condamnation. Il était moins risqué de soutenir Trump que le contraire. La majorité des gens, même les plus puissants, surtout les plus puissants, sont des moutons terrorisés par le bâton et à l’affut de la moindre petite carotte. Les seuls qui peuvent s’indigner sont celleux qui ont un sens moral fort, qui n’ont rien à perdre, qui n’ont rien à gagner, qui ont la force et l’énergie de s’indigner, le temps pour le faire et les réseaux pour se faire entendre. J’insiste sur le « et » logique. Il faut que toutes ces conditions soient remplies. Et force est de constater que ça ne fait pas beaucoup de monde. Surtout quand on réalise que ce « pas beaucoup de monde » est majoritairement peuplé d’idéalistes qui ne veulent pas croire que la personne en face puisse être à ce point dénuée de sens moral et de scrupule. Alors, comme des crétins, ils tentent de se faire entendre… sur X ou sur Facebook, des plateformes qui appartiennent à ceux qu’ils cherchent à combattre. Celleux qui se plaignent sur ces plateformes ont l’impression d’être actifs, mais ils sont algorithmiquement enfermés dans leur petite bulle où iels n’auront aucun impact sur le reste du monde. « Bon » et « bête » ça commence par la même lettre. On a ce qu’on mérite. Le simple fait d’avoir gardé un compte sur X après le rachat par Elon Musk était un vote virtuel pour Trump. Tout le monde le savait. Vous le saviez. Vous ne pouviez pas ne pas le savoir. C’est juste que, comme un bon consultant McKinsey, vous vous disiez que « ça n’était pas si grave que ça ». Qu’ « il y a des règles, non ? ». Si vous me lisez, vous êtes, comme beaucoup, une bonne personne et donc incapable d’imaginer qu’Elon Musk puisse avoir simplement et très ouvertement manipulé son réseau social pour favoriser Trump. Mieux vaut tard que jamais Mais il n’est jamais trop tard pour réagir. Le 1er février est annoncé comme le « Global Switch Day ». Vous êtes invités à migrer de X vers Mastodon. Le 1er février, migrez de X vers Mastodon Mastodon qui devient une fondation. Ça fait plaisir de voir qu’Eugen, le créateur de Mastodon qui tout un temps s’enorgueillait du titre de « CEO de Mastodon » se rend compte que cette pression est énorme, qu’il ne joue pas dans la même cour et que Mastodon est un bien commun. En se faisant appeler « CEO », Meta le flattait pour obtenir sa coopération. Eugen semble avoir compris qu’il se perdait. Excellente interview de Renaud, développeur Mastodon. Quitter X, mais pour Mastodon ou BlueSky ? (basta.media) Thierry Crouzet fait la comparaison avec les résistants. Le technofascisme est-il une fatalité ? (tcrouzet.com) En parallèle, Dansup développe Pixelfed, qui ressemble à Instagram. Ce qui est génial c’est que vous pouvez suivre des gens sur Mastodon depuis Pixelfed et vice-versa (enfin, en théorie, faudra qu’on en reparle, car, depuis Pixelfed, vous ne verrez pour le moment que les messages Mastodon contenant une image, j’espère que ça évoluera). Pixelfed a attiré tellement de gens dégoutés par Meta (propriétaire d’Instagram) que Dansup s’est vu assailli par les investisseurs désireux de mettre des sous dans son "entreprise". Le 1er février, migrez de Instagram vers Pixelfed Dommage pour eux, comme Mastodon, Pixelfed est un bien public. Il est et sera financé par les dons. Dansup lance d’ailleurs une campagne Kickstarter : Pixelfed’s Kickstarter Signal et la messagerie Lors de mon examen, la plupart des étudiants ont eu des questions sur le Fediverse ou sur Signal. Ce qui m’a permis de sonder leurs utilisations des réseaux sociaux et messageries. Fait marrant : ils sont tous sur des réseaux où ils pensent que « tout le monde est ». Mais, sans communiquer entre eux, ne sont pas d’accord sur quel est le réseau où tout le monde est. J’ai eu des étudiants qui ne jurent que par Instagram et d’autres qui n’ont jamais eu de compte. J’ai eu un étudiant qui est sur Facebook Messenger et sur Signal, mais n’a jamais éprouvé le besoin d’être sur Whatsapp. À côté de lui, un autre étudiant n’avait tout simplement jamais entendu parler de Signal. Il n’y a que Discord qui semble faire l’unanimité. Celleux qui utilisaient Signal disaient tou·te·s qu’iels regrettaient que Signal ne soit pas plus utilisé. Et bien, le 1er février, c’est l’occasion ! Le 1er février, migrez de Whatsapp vers Signal Alors, c’est peut-être le moment d’arrêter de jouer au bon petit consultant McKinsey ! Surtout si vous n’êtes pas payé pour ça… Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.
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Thanks for the memories, but good riddance. I deleted Instagram. Two days ago. The reasons are as you would expect: doomscrolling, fatigue, vapidness, and of course, all of the horrifying[1] things Meta enables. Concerning Instagram itself, the list is long. The app started innocently enough: a place to visually share what you were up to right now. A successor to Flickr for the smartphone age, and combining the on-the-go status-style of Twitter, it launched in October 2010, and quickly became successful. I signed up for the service on November 5, 2010, at 7:02pm[2], shortly after. It was a fun place of course — the early days of social networks before we (as an industry) started calling them social graphs, and other terms that made these networks business-aligned. Sharing square 1:1 ratio photos immediately from your iPhone with Hipstamatic-like filters was simple and caught on amongst most I knew. You had Twitter, you had Instagram. Over the decades, and a big acquisition, the app started to head down the enshittification path. Competitors like Snapchat, and VSCO[3] brought a bit of heat in various ways: Snapchat with its close-friends temporal content, VSCO with it’s more privacy-focused and artful social network, and then came TikTok. Instagram responded to any new comers by simply ripping-off their features wholesale. Inertia in a platform is borne out of convenience and the FOMO of connections already made. My own habits had naturally declined in recent years, and much like my abandonment of Twitter in 2015, Instagram existed on my device purely for direct messaging, and keeping tabs and supporting friends and family. My posting had gone down to almost nil, and I rarely interacted or cared about engagement anymore, even with a dedicated group of people who followed me (~3.4K, small by influencer standards, but sizable for someone who’s just doing my best to be myself). As Mastodon, and the indieweb has taken over my internet participation (this very website!), Nick Sherman summarized my own feelings on this, especially as someone who identifies with the DIY-skate-punk-musician-outsider ethos: It’s been a tough year so far but I really find joy in the community here on Mastodon and the larger Fediverse. There’s a satisfying DIY punk rock feeling to it all, as if I’m sticking it to dystopian billionaires every time I boost someone’s Mastodon post or fave someone’s Pixelfed image or try out some new Fedi app or follow some interesting stranger on some weird platform I’ve never heard of but can still interact with because it’s federated. It’s what the internet is supposed to feel like. — Nick Sherman I’m chasing a through line here with my last two posts and this one, and it’s been weighing on my mind amongst all of the modern horrors of our current world. It’s just one that I can control, and opt-out of[4]. It’s okay to like, or love something for a while in a mutually beneficial relationship, but when one side is only taking, it’s also freeing to let it go. Hey Instagram, see ya, wouldn’t wanna be ya. Content warning: This is just one example (please do your own research if you aren’t aware somehow) but Erin Kissane’s reporting here is astounding, heavy, damning, and dutiful work. ↩︎ I downloaded my archive and it’s surprisingly robust. And also mildly creepy. ↩︎ Full disclosure, I worked at VSCO first as a contractor, then full-time from 2016-2018. ↩︎ If you stay, please consider not making them further money and using your data. ↩︎ Visit this post on the web or Reply via email
Most bores are not aware they are boring. It’s not always their fault and the impulse to tell them they are boring, though understandable, is almost always a waste of time. You can’t make people interesting who value their humorlessness, bad taste and stridency. I woke the other morning internally singing these words, perhaps left over from a dream: ‘’I saw Eternity the other night, / Like a great ring of pure and endless light, / All calm, as it was bright.” I still thrill at these lines, some fifty years after I first encountered them in Alfred Kazin’s A Walker in the City (1951). They are the opening to Henry Vaughan’s “The World” (c. 1650). It’s the casualness of “the other night” coupled with Vaughan’s glimpse of eternity that rouses and delights me. Mystics often resort to inarticulate enthusiasm. Their experiences defy language, so they yawp, the linguistic equivalent of the early Shakers writhing on the floor. In contrast, Vaughan might be recounting this morning’s breakfast. His tone is calm, methodical, almost journalistic, the meter regular and yet conversational. These are lessons lost on most contemporary poets. Their verse is prose and thus defies memorization, unlike Vaughan’s, whose poem I never set out to memorize but did. In a recent review of a volume by Jonathan Chaves, the poet Catharine Savage Brosman writes: “To say that poetry in America now, though honored by public budgetary support and widely heralded, is largely superficial and ephemeral is not unfair. . . . Like other rhetorical performances, a poetic flash in the pan, a pleasing act of verbal prestidigitation, a strident accusation of injustice, a cry on the rooftops for change may attract admiration and assent; they are not in themselves good poetry. Poetry is an art.” To intentionally write badly and impose it on others is the definition of artistic narcissism and, incidentally, tedium. Many have convinced themselves they are writing poetry. Trying to argue them out of their delusion is a waste of time. The effort would require them to rehabilitate their sensibilities, and that’s a lot of work. They want the leftover Romantic “prestige” associated with being a poet without the learning, discipline and dedication required. Brosman again: “Nearly empty of sense, solipsistic, without appealing use of language, much contemporary writing called poetry is imitative, facile, accusatory. Of course, bad poetry has always been around. But new means of disseminating it, wealth to underwrite and popularize it, and the general degradation of culture have made a difference.” In another recent essay, “Poetry and Western Civilization,” Brosman writes: “Poetry belongs to those enterprises which examine and preserve the past, while sifting and shaping facts to create understanding, so that human beings may know themselves and comprehend their destiny better.”
The summer after graduating high school, knowing he would face conscription into the military as soon as his eighteenth birthday arrived, Edward Abbey (January 29, 1927–March 14, 1989) set out to get to know the land he was being asked to die for. He hitchhiked and hopped freight trains, rode in ramshackle busses and walked sweltering miles across the American Southwest. Upon returning home to Pennsylvania, he was promptly drafted and spent two reluctant years as a military police officer in occupied Italy. Defiant of authority and opposed to the war, he was demoted twice and finally honorably discharged “by… read article